« - Jt’emmerde.
- Quoi ?! »
Ça méritait des baffes dans la gueule ce genre de gamin. Et pas des petites. Le genre de baffes qui vous fait faire trois tours sur vous-même. Et ce genre de phrases assassines fusait depuis quelque temps, faisant hausser le ton et laissant éclater de nombreuses disputes au sein du petit foyer. Pourtant, Dany n’avait pas toujours été un sale môme.
Sa vie avait commencé comme toutes les autres : par une naissance. A détroit donc. Une ville plutôt peuplée, couverte de building et autres gratte-ciel. Une ville animée et vivante. Que Dany n’avait pas connue. Enfin, il n’en avait gardé aucun souvenir. C’était les photos de cette époque qui faisaient sa mémoire. Ça plus les récits que sa mère se plaisait à raconter à toute personne qui l’amenait à parler de son fils. Des petites anecdotes sans importance mais qui l’avaient marquée. Et qui finissaient généralement par ridiculiser le gamin. Des histoires sans intérêt de pleurs incessants, des mouillages de lit, de dessins informes et de mots mal prononcés. Le genre d’histoires à dormir debout mais qui bizarrement attendrissent toutes les mamans. Et qu’elles ne cessent de raconter tout au long de votre vie, vous assurant que « C’est par ce que je suis fière de toi ! Mon petit bébé d’amour. » Le genre de phrases qui vous arrache une grimace dégoutée et des yeux qui s’en vont fixer le plafond avec un certain agacement.
Puis intervint le déménagement. Pour l’arrivée du petit frère, en 1998. Allez savoir pourquoi, la mère de famille avait décidé que cette ville agitée dans laquelle était né son premier fils était à présent un endroit trop dangereux. Trop de monde, de voitures, de bâtiments, de rues. Et comble de l’ironie c’est non loin de Perdido Beach qu’ils décidèrent d’emménager. Les rumeurs et les histoires à propos de l’accident de la centrale planait toujours, et inquiétaient encore les habitants des villes alentours mais la petite famille n’en eut qu’un faible écho. Et madame jugeait qu’ils étaient assez loin pour ne pas risquer d’être contaminé par quoi que ça soit, bien qu’elle ne s’y connaisse absolument pas.
S’en suivit ensuite une enfance des plus communes, jonchée de rivalités entre frères. C’était à celui qui obtiendrait le plus de câlins et d’attentions. A celui que l’on couvrirait le plus de cadeaux, celui qui serait le plus mignon, le plus fort, le plus beau, le plus génial ou le plus gentil. Celui qui serait le plus de quelque chose. Enfin, jusqu'à la fin de l’enfance. Jusqu'à ce que les adultes appellent « adolescence ». Le mot qu’ils utilisent pour presque s’excuser du fait que vous respirez. Ce mot qui en fait veut dire « Mais ce n’est pas ma faute s’il se comporte comme ça. C’est de son âge. Je l’ai parfaitement élevé, voyez vous ? Non, je suis un parent merveilleux qui a fait son travail, tout ça n’est aucunement ma faute. ».
Une adolescence chaotique. Bourrée de fautes. De mots relatant des mauvais comportements, des convocations chez les professeurs puis chez le directeur. La seule choses qui semblait aller c’était le sport. Surtout les sports ou Dany pouvait littéralement laminer ses adversaires. Les sports de combat donc. Aïkido, judo, karaté, lutte... Mais aussi les sports de balle tels que le foot ou basket. Les relations amicales relevaient plus de la hiérarchie que de l’amitié. Peu à peut s’était formé un groupe, presque un gang. Oh, juste une poignée de gamins en mal d’occupation qui se faisaient remarquer. Rien de bien grave après tout. Mais les remarques allaient bon train. Et Dany en faisait partit de ce groupe, au grand désespoir de ses parents. Il était juste au milieu. Pas au sommet mais pas non plus un larbin.
Ce qui atteint des sommets (et a une vitesse fulgurante) fut l’insolence de Dany envers ses professeurs. Enfin, il faut savoir tempérer. Quand la mauvaise humeur et la mauvaise foi l’emportaient, il pouvait être très désagréable. Ce qui le mena à l’incident suivant. Une altercation verbalement violente avec un professeur. Qui poussa Dany à quitter précipitamment la salle de classe, bousculant chaises et élèves. On ne le vit pas à ce cours la semaine suivante. Ni toutes les autres d’ailleurs. Et progressivement cet absentéisme fut remarqué, le jeune homme ne venant plus qu’aux cours de l’après midi. Pour en arriver au bout d’un an et demi à une absence totale. Il traînait aux abords de l’établissement, riant et discutant avec ses connaissances. Parfois seul, observant de loin les condamnés entrer lourdement lorsque la cloche retentissait.
Les parents avaient baissé les bras. Ils se disaient qu’il y retournerait bien à un moment ou à un autre. Ils se disaient que de toute façon il y retournerait de lui-même. Ça n’était pas faute de l’avoir forcé mais cela ne donnait rien. Au bout de deux mois d’absence totale, le patriarche se dit qu’il était temps de remettre le garçon sur de bons rails. Il lui avait largement laissé le temps de le faire de lui-même. Le père de famille entra dans la chambre sans même frapper, et dans l’espoir d’avoir une discussion constructive avec l’ainé de ses fils. Il agita une main devant lui, dissipant un peu la fumée qui embrumait la pièce. Il découvrit son fils endormi, une cigarette à la main. Et la fenêtre grande ouverte laissait entendre que le jeune homme avait fait le mur une bonne partie de la nuit. Et vraisemblablement ça n’était pas la première fois.
Oui, vraiment. Trop, c’est trop.